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Titel
Traduire la liturgie. Essai d’histoire


Autor(en)
Michel, Florian
Erschienen
Paris 2013: Editions CLD
Anzahl Seiten
251 S:
Preis
URL
Rezensiert für infoclio.ch und H-Soz-Kult von:
Vincent Petit, Strasbourg

Le «métier» de recenseur est un vrai plaisir quand il permet de lire puis de rendre compte d’un livre qui a procuré autant d’intérêt et qui renforce, pour rejoindre le souci de franchise que revendique l’auteur dans son introduction (15), l’amitié que nous portons à celui qui l’a écrit. Florian Michel publie en volume une série d’articles publiés dans diverses revues et actes de colloque, qui ont été relus, retravaillés, réécrits – on regrettera que la parution d’origine ne soit pas mentionnée. L’ouvrage se veut d’emblée modeste: il n’a aucune prétention à l’exhaustivité, et se présente comme son soustitre le dit comme un essai, à partir de sources essentiellement françaises. La nécessité de réunir ces différentes contributions est évidente tant la thématique, la problématique, les ressources archivistiques, les personnalités agissantes sont communes: traduire, en l’occurrence du français au latin pour l’essentiel, la liturgie de la messe (Credo, Notre-Père, canon...) pour y associer d’avance les fidèles, conformément à l’exigence longtemps portée par le mouvement liturgique. Florian Michel, plus que de fixer son attention sur les débats entre novateurs permanents et conservateurs absolus, s’applique à décortiquer la mécanique de la réforme sur une série de cas particuliers: le consubstantialem patri dans le Credo, le Notre-Père œcuménique, l’incise mysterium fidei dans le canon, et pour finir en 1970 l’échec de la traduction œcuménique du Credo. Le premier mérite de l’ouvrage est de placer sur la scène les principaux acteurs, laïcs ou clercs, qui ont fait les «trente glorieuses du catholicisme français» et francophone pour reprendre une expression d’Etienne Fouilloux: Gilson, Maritain, Lubac, Congar, Journet... A cet égard, les figures de proue épiscopales apparaissent relativement ternes, et le fonctionnement de la commission épiscopale liturgique décrit dans le chapitre 6 donne un sentiment d’une froideur toute bureaucratique. L’autre mérite est d’intégrer l’histoire de la liturgie, et la question du changement dans la liturgie, au sein d’une histoire culturelle et sociale beaucoup plus ample: la réforme liturgique est ainsi pleinement pensée comme partie prenante de la formidable modernisation de la société française. La traduction des textes sacrés estelle indispensable à une plus grande participation des laïcs? l’unicité de la langue liturgique est-elle un gage d’universalité? le latin est-il adapté aux nouvelles conditions de la pastorale? convient-il dans les terres de mission africaines et asiatiques? faut-il tutoyer Dieu? dans quelle mesure les textes liturgiques catholiques peuventils être rapprochés de ceux des protestants et des orthodoxes? à quel stade arrêter les réformes? Or, cette question a déchaîné les passions, et bien au-delà des cercles intellectuels parisiens: lettres assassines aux évêques, pétitions, livres à succès (ceux de Michel de Saint-Pierre), chansons de variétés (Brassens, mais plus féroce encore Je vous salue Marie de Serge Lama), cinéma (Jean Yanne qui, en 1972, propose la communion «sous son aspect liquide»: hostie en tube, hostie en pastille, hostie espumante). Elle a aussi ravivé les lignes de fracture internes au monde catholique, crises successives qu’ont constituées le modernisme, la condamnation de l’Action Française, l’occupation et Vichy, la guerre d’Algérie. Ce qui se dégage de la lecture du livre, c’est que, contrairement à ce que certains pourraient imaginer, l’idée même d’une traduction des textes de la messe ne constitue pas à l’origine une ligne de clivage, et le point de vue Maritain peut sans doute résumer l’attitude générale des intellectuels catholiques: «Je comprends les raisons qui militent d’une façon décisive pour l’emploi de la langue vulgaire, même dans les pays occidentaux. La question pour moi ne porte donc absolument pas sur le principe. Elle porte sur l’application et sur la manière, dont en fait, le texte sacré est traduit» (41). Or, ce que montre Florian Michel, plus qu’il ne veut bien l’admettre dans sa conclusion, c’est que cette application s’est révélée difficile et décevante. En témoigne d’abord l’épuisement assez rapide de la dynamique réformatrice: ce qui était possible en 1967 ne l’est plus en 1970. D’autre part, la réforme s’est largement opérée sans les laïcs («la réforme apparaît – euphémisme – comme une œuvre cléricale» 211), voire contre les laïcs: l’accumulation des remarques d’un Maritain, d’un Gilson, sont autant d’alarmes restées sans réponse. Le P. Congar écrit ainsi en 1970: «Les changements perpétuels enlèvent à ceux qui goûtent le plus de joie à vivre la liturgie, l’espèce d’aisance que leur donnait la stabilisation des textes. Suisje bâti autrement qu’un autre? J’en ai assez des changements» (173). Le dernier mérite de Florian Michel est donc de dévier la focale généralement fixée sur ceux qui ont fait la réforme liturgique un prétexte ecclésiologique et en fin de compte politique (Madiran, Salleron, abbé de Nantes puis Mgr Lefebvre), vers ceux qui ad intra l’ont voulue, l’ont vécue, et en ont souffert. Au-delà, l’ouvrage donne à réfléchir sur la gouvernance de l’Eglise, et d’une manière plus générale de tous les corps sociaux à l’ère démocratique, et à s’interroger sur la dynamique réformatrice qui, par nature, provoque des insatisfactions à la mesure des espérances qu’elle a nourries.

Zitierweise:
Vincent Petit: Rezension zu: Florian Michel, Traduire la liturgie. Essai d’histoire, Paris, CLD éd., 2013. Zuerst erschienen in: Schweizerische Zeitschrift für Religions und Kulturgeschichte, Vol. 108, 2014, S. 572-573.

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